Le 9
Décembre 1991, à 20h35 un dernier train en provenance
de Digne s’immobilise sous la majestueuse verrière de la
Gare du Sud.
Le
nouveau terminal de la rue Alfred Binet étant achevé,
la nouvelle gare minimaliste entre en service le lendemain..
La
municipalité et le promoteur qu’elle a choisi, le groupe
Tréma, pense avoir gagné ce long combat et veut
rapidement réaliser son projet immobilier qui commence par la
démolition de la Gare.
Destiné
à masquer la pauvreté esthétique de la future
construction, le portique central se retrouve incrusté dans le
futur bâtiment pour lui servir hypocritement d’alibi, le
projet étant de le déplacer en bordure de rue pour
récupérer aussi les 17 mètres de parvis de la
Gare.
Toutefois
pour une majorité de niçois unis et solidaires,
soutenus par quelques associations de quartier, par la presse nationale, et des élus de tous bords, la lutte commence.

Grâce
à une forte mobilisation de quelques passionnés, la
verrière de Baltard (école de Gustave Eiffel) semble sauvée, le promoteur
s’engageant à la démonter et en faire don à la
Ville.
Durant
plus de 2 ans, le projet semble au point mort, et grâce au
« silence radio » de la municipalité,
les bruits les plus fous courent, il est maintenant question
qu’en plus du Centre Commercial on rajoute 15 000m2 de
bureaux.
Le 7
Avril 1993, Christian ESTROSI, alors député de la
circonscription sur laquelle est construite la Gare, alerte le
Ministre de la Culture, Jacques TOUBON en vue d’obtenir son
classement.
Le
permis de démolition et de construire sont accordés le
8 Avril 1993 pour la construction de l’ensemble immobilier et
immédiatement des associations, des élus, des riverains
et la Chambre des Métiers déposent un recours en
annulation auprès du Tribunal Administratif.
Alors
que l’Etat est toujours propriétaire des terrains une
tentative sauvage de démolition est même tentée
le 15 Avril 1993 contre la tourelle gauche, stoppée par
Christian ESTROSI.
Au cours
du mois de Juillet le Tribunal prononce un sursis à exécution
concernant le permis de démolition et le permis de
construire, estimant que « la
concertation, devant notamment associer les habitants et les
associations locales, dans le cadre de la création d’une
zone d’aménagement concerté, n’avait pas été
régulièrement menée ».
Au mois
de Février 1994, le PDG et le DG du groupe Tréma,
promoteur du projet, sont interpellés en Italie pour avoir
versé des pots de vin de plusieurs milliards de lire afin
d’obtenir la construction d’un Centre Commercial à Turin.
Au mois
d’Avril 1994, le Conseil municipal approuve un projet de
construction d’un grand ensemble polyvalent.
Le
bâtiment, complètement abandonné à son
triste sort, sert de dépotoir, est désormais squatté,
ouvert aux 4 vents, le démantèlement de la verrière
et des huisseries se poursuit dans l’indifférence, un début
d’incendie provoqué par des squatteurs, la peur des
riverains et un trafic de drogue notoire obligent la municipalité
à faire un grand nettoyage du bâtiment et à
enfin murer la Gare du Sud (qui appartient toujours à l’Etat),
début Août 1994.

Dès
son élection, Maître PEYRAT montre son intérêt,
non pour la superbe architecture du bâtiment qui règne
sur tout un quartier, mais pour les 18 000 m2 sur lequel il est
implanté.
Le 23
Décembre 1996 le Tribunal Administratif annule le permis de
démolir et le permis de construire accordés à la
société Tréma, la municipalité
envisageant de construire une nouvelle mairie.
Dès
le début de l’année 1997, la nouvelle municipalité
adresse au Ministre des transports une proposition d’achat des
terrains afin d’y ériger la nouvelle mairie, incluant aussi
20 salles de cinéma, un parking de 2000 places et des
boutiques.
Il est
alors question de conserver la façade de la Gare du Sud, tout
en construisant tout autour des bâtiments, mais aucun plan
n’est présenté.
 D’âpres
tractations commencent alors entre l’Etat et la municipalité
qui aboutissent finalement le 7 Avril 2000 à la vente par
l’état des anciens terrains des CP et de la Gare à la
Ville de Nice pour la somme de 83,5 millions de francs.
Reste à
indemniser la société Tréma, qui a construit la
nouvelle Gare, rue Alfred Binet, (coût 17,5 millions de francs)
et qui jusqu’en 1996 restait le promoteur ; un accord est
trouvé en Novembre 1998 ; La ville doit verser 25
millions de francs pour qu’ils se retirent du projet. Du 25
Février au 25 Avril 1999, une concertation publique avait été
lancée, il en ressortait un attachement des niçois au
bâtiment.Un appel
à projet est lancé en Avril 2000, le début des
travaux étant prévu pour fin 2002.
Un jury
est appelé à examiner les différents projets les
20 et 21 Mai 2001...
Malgré
l’avis des niçois, le Conseil municipal du 4 Octobre 2001
choisit le Projet de l’architecte Pierre-Louis Falocci, dont les
premières paroles « un
véritable projet urbain qui va redynamiser et embellir toute
cette partie de la ville et pour lequel rien ne justifie de conserver
la façade de la Gare du Sud, comme un décor de
Cinécittà »
font un tollé parmi les associations de quartier, les élus
réfractaires et surtout les niçois, attachés à
ce patrimoine exceptionnel. La
municipalité promet la conservation de la façade et
commence à évoquer l’idée d’un démontage
remontage, mais craint une mesure de classement que réclame
les opposants au projet.
Le 7
Novembre 2001 Catherine TASCA, alors Ministre de la Culture du
gouvernement JOSPIN, sous la pression d’élus de tous bords
et de quelques associations prononce une mesure conservatoire de
sauvegarde de la Gare.
Malgré
des entrevues en haut lieu, des tractations et des menaces
judiciaires, le Ministre de la Culture inscrit la façade de la
Gare à l’inventaire supplémentaire des Monuments
Historiques.
La
municipalité ne se décourage pas, misant sans doute sur
le changement de majorité gouvernementale.Toutefois
le maire, qui semble en faire une affaire personnelle, ne renonce pas
et décide d’une opération de démontage-remontage,
reste à trouver le lieu du remontage.
Les
projets deviennent de plus en plus ubuesques, on parle de remontage à
Lingostière, ou dans la rue Trachel dans le Square du Colonel
Jean-Pierre.
La
démolition de la verrière et un démontage-remontage
de la Gare semblent acquis pour laisser la place à la
construction d’un grand complexe comprenant un parking de 1300
places et la nouvelle mairie.
En 2002,
comme prévu Jean-Jacques AILLAGON, alors ministre de la
Culture du gouvernement RAFFARIN, est favorable à un
démontage-remontage et signe une convention, à charge
du maire de remonter la façade ailleurs. 


Toutefois
les défenseurs de la Gare se font de plus en plus nombreux, et
des élus manifestent ouvertement leur désapprobation.
La Gare
semble condamnée mais un coup de pouce du destin va changer
les choses.
En
septembre 2002, un jeune étudiant en architecture, Mario
BASSO, en panne de PC se retrouve par hasard devant la « Gare
du Train des Pignes » et ….
« Emerveillé
par la beauté et la prestance de cette gare, je fus surpris et
attristé de constater son état d’abandon et de voir
une telle surface inutilisée en plein cœur de Nice. Le jour
même je décidais de m’intéresser de très
près à cette gare. »*
Son
projet durera 1an et 5 mois : du 7 octobre 2002 au 27 février
2004 et malgré toutes les entraves, il réussît à
le mener à bien.
Plans du projet de Mario Basso (2002-2004) |  |  |  |  |
« Naïvement,
je pensais que, en simple étudiant préparant une thèse
sur un joyau du patrimoine de la ville, les portes s’ouvriraient
sans problèmes. Malheureusement je ne fus pas accueilli comme
un simple étudiant, mais comme un empêcheur de tourner
en rond qui préparait un projet architectural dont l’ambition
était de conserver le bâtiment dans sa totalité.
Or, un tel projet allait ouvertement à l’encontre des
projets de l’actuelle municipalité de Nice. *
Je
décidais donc de m’adresser à la mission
d’aménagement du quartier Libération qui m’informa
que la mairie n’avait aucun plan et qu il m’était
impossible de les avoir. J’ai donc demandé l’autorisation
de visiter la Gare, afin d’en faire un relevé. Muni de ce
sésame, mais flanqué d’un collaborateur de la mairie,
j’ai eu ……1 heure pour faire le relevé ! Un vrai
défi ! »*
Mais
notre homme est un homme de défi, et avec l’aide de son
père, ancien chef de chantier dans le BTP, il mesure toute la
façade extérieure, puis grâce à l’absence
d’un parpaing, il peut atteindre l’intérieur par un trou
de 20×50 cm et durant 3 mois, il mesure le bâtiment.
Muni de
toutes les informations nécessaires, il peaufine son projet
de réhabilitation de la Gare en totalité pour en faire
une cité culturelle.
Il
réussit son diplôme le 27 Février 2004, mais le
destin va encore frapper. « Le
vendredi 27 Février 2004, jour de mon diplôme, je
croyais que l’aventure Gare du Sud s’arrêtait là.
Mais le destin en a décidé autrement. Le jour même
ou presque, je reçois un appel de M. RAZEAU, Président
de l’association du quartier des Beaumettes qui regroupe les
opposants à la destruction et au déménagement de
la Gare. Il souhaite me rencontrer pour que je lui expose mon projet.
J’accepte sans hésiter et [..] le reçois, accompagné
de François GROSS, Michel STEVE, et Georges BUZZI, lui aussi
architecte. [..] Convaincus par mon projet, M. RAZEAU et mes trois
nouveaux « collègues » s’engagent à
soutenir mon projet. A ma grande surprise, je me retrouve le 18 Avril
2004, dans l’un des luxueux salons de l’hôtel Négresco,
devant plus de 70 personnes, dont des députés et des
élus locaux, tous très attentifs..»*« Parallèlement,
encouragé par M. RAZEAU et ses proches collaborateurs, je
décide d’envoyer mon projet au Ministre de la Culture en
personne, et le 12 juillet 2004, accompagné de M. RAZEAU et de
Jean ICART (Conseiller Général), je me retrouve au
Ministère de la Culture à
Paris, pour présenter
mon projet. Peu de temps m’était imparti, il fallait donc
que je sois clair et précis. Je devais me montrer plus
convaincant que jamais, car je savais que la carte que j’allais
jouer serait décisive pour mon avenir, et peut-être,
celui de la Gare du Sud. »* « Très
vite la presse locale c’est emparé du projet pour mobiliser
son lectorat »*
Quelques
semaines plus tard, le maire fait publier dans la presse locale une
alternative à son projet de démolition de la Gare du
Sud : il propose désormais de démonter la Gare,
pierre par pierre, pour la remonter 700 mètres plus loin. »*
Notre
Gare est encore loin d’être sauvée, un Conseil
Municipal extraordinaire du 1er
juillet 2004 ayant voté une enveloppe de 1,7 millions d’Euros
pour le démontage de la façade, mais son ange gardien
veille sur elle et va donner le coup de pouce décisif . En effet
Renaud DONNEDIEU de VABRES, Ministre de la Culture de l’époque
a fait le déplacement à Nice le 25 juin 2004 pour
voir en personne ce bâtiment qui suscitait autant de passion et
de controverses. Le 16
juillet 2004, une décision quasi inespérée
tombe ; par un communiqué le Ministre de la Culture
Renaud DONNEDIEU DE VABRES désavoue son prédécesseur
ainsi que le maire de la 2ème
ville U.M.P. de France : La Gare du Sud doit être
restaurée in situ.
Et dans son ensemble, verrière comprise. Selon le communiqué
« malgré un état de vétusté dû
à un manque d’entretien, [elle] conserve une qualité
monumentale et urbaine indéniable qui ne peut être
préservée que sur son site actuel d’implantation.
[……] par principe la démolition d’un édifice
protégé est un acte trop grave et exceptionnel pour
être recevable sans que soit expertisé l’ensemble des
autres possibilités de conservation »
En
compensation, le Ministre promet les subventions maxima pour la
restauration, à savoir 40% du montant des travaux.
La
Gare semblait sauvée, mais coup de théâtre, un
nouveau projet apparaît :
Pour
la construction du parking, il faut démonter la verrière
classée, la municipalité s’engageant à la
remonter pièces par pièces.
Le
projet reçoit l’accord du Ministère le 12 Mai 2005,
par chance, la municipalité étant en plein chantier du
tramway, les travaux ne débutent pas immédiatement,
mais suivront ceux du tramway ; Les appels d’offre sont lancés
pour le démontage de la verrière (coût 1,6M€ ).

La
plateforme sous la verrière est devenue un simple parking,
seuls quelques panneaux accrocheurs présentent le pharaonique
projet.Au
quatrième trimestre 2007, l’inauguration du tramway est
faite en grandes pompes, mais c’est aussi le début de la
campagne électorale pour les élections municipales, et
l’avenir de la Gare du Sud est au centre de tous les débats,
seul le maire sortant voulant la nouvelle mairie.
Pour
tous les autres candidats, le parking est nécessaire, mais
pour cela, démonter la verrière n’est pas
obligatoire.
Donné
perdant dans tous les sondages et dans tous les cas de figures, le
maire sortant, dans son orgueil meurtri, tente un dernier baroud
d’honneur : il limoge des adjoints réfractaires et fait
entamer le démontage de la verrière en janvier 2008.

Le 16
Mars, une nouvelle majorité municipale est élue, et dès
son deuxième Conseil Municipal le projet de nouvelle mairie
est purement et simplement abandonné.L’année
2008 sera-t-elle la fin du calvaire de la Gare du Sud ? On peut
raisonnablement y compter si les promesses électorales sont
tenues.
Et
pourquoi pas se prendre à rêver un peu ? Et si
notre ami le petit train que nous aimons tant refaisait son entrée
chez lui ? En 2012 par exemple…..On nous a volé le
centenaire, on fêtera peut-être les 120 ans !!!!!
>Notes :(*)www.ibatiment.fr/document/171
Merci à
Mario Basso pour sa formidable documentation journalistique.
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